La jeune Céline grandit dans une culture alternée, entre une éducation familiale stricte dans la pure tradition chinoise confucéenne, et une instruction occidentale à l’école de la république. Une dualité qui, à l’instar du yin et du yang, entre en résonnance pour former une harmonie pas si discordante. Le baccalauréat en poche, l’étudiante, poussée par ses parents, se tourne vers les classes préparatoires. Deux années harassantes qui mettent à mal sa confiance en elle. Sous le concentré de synthèses et autres devoirs, Céline prête main forte à ses parents chaque weekend dans leurs magasins, brûlant ainsi ses dernières pincées d’énergie.

Les concours sonnent la libération de la jeune femme et l’étudiante intègre Grenoble Ecole de Management (GEM). Si la déception de ses parents est grande tant ils auraient troqué deux petites lettres pour obtenir HEC, Céline ouvre avec soulagement ce nouveau chapitre. Au pied des montagnes, elle se plaît à grimper les cimes de l’apprentissage, dans un bouillon de cultures d’étudiants venus du monde entier. Son diplôme en poche, elle fait une entrée en matière dans un cabinet de conseil spécialisé en transformation des entreprises et des organisations. A penser aux évolutions managériales, ou organisationnelles de ses clients, elle en oublierait (presque) la sienne. Elle avale les semaines et les mois mais un arrière-goût amer arrive dans ses maxillaires. Céline troquerait volontiers le calme de son bureau feutré pour la clameur d’un restaurant. La jeune femme a toujours aimé la cuisine, les bonnes tables, une nourriture généreuse, que l’on partage entre deux grands éclats de rire. Dans une Chine croquée depuis toujours par la pudeur, on témoigne de son affection et de son amour à travers un plat longuement mitonné.

Alors, pour calmer cette disette intellectuelle et mettre de l’ordre dans ses pensées quelques peu bousculées, Céline alimente un petit carnet d’idées au long court. L’inertie de certains grands groupes aura raison de son enthousiasme. Un voyage en Iran finit de la convaincre. Elle démissionne après trois ans de conseil. Sans aide au chômage ni associé, Céline profite d’un agenda allégé pour rencontrer des entrepreneurs de la food et ressort alors les idées noircies sur son petit carnet. Elle approche les fondateurs de Paris New York, les macs du sandwich américain, les kings de la frite dorée à souhait et finit par travailler pour eux en tant que bras droit, apaisant pour un temps l’inquiétude de ses parents. Elle fait la rencontre entre deux services de son futur associé. Mais avant d’unir leurs forces et afin de tester leurs affinités entrepreneuriales, ils décident de convoler un mois à Shanghai.

L’alliance entre les deux jeunes entrepreneurs est scellée à leur retour en France. Céline se lance alors en quête de financements, mais elle essuie trois premiers refus. Loin de se décourager, elle recontacte des entrepreneurs qui la dirigent vers des institutions plus enclines. Une aide de la BPI (Banque publique d’investissement) accélère l’engagement des banques, qui finissent par lui accorder un prêt. L’aventure peut enfin démarrer à toute vapeur. Elle partage l’avancée des travaux sur instagram, mise en bouche alléchante et fait mijoter les passants curieux avec une accroche que les princes du marketing n’auraient pas renié : « No dogs, no cats, no rats, juste chinese food ». Petit Bao (c’est le nom de son projet culinaire) annonce la couleur et entend démonter par l’absurde les clichés sur la cuisine chinoise.

Petit Bao propose des ravioles, nouilles fraîches, riz sauté, et surtout les fameux baos. Les grands classiques de la cuisine chinoise y sont ainsi servis. Quelques articles bien léchés dans la presse locale, le bouche-à-oreille enfle, lui permettant de devenir très vite la boss du bao.

Ils auraient pu s’arrêter là mais cette première aventure n’a fait qu’aiguiser un appétit nullement rassasié. Céline et son associé ont le génie des grandeurs et veulent très vite s’imposer comme LA référence du bao parisien, avec l’envie de faire découvrir l’effervescence d’une cantine hongkongaise, où la vapeur se mêle au bruit. Un an et demi seulement après l’ouverture de leur premier lieu, Gros bao vient agrandir la famille. Solidement arrimé au bord du canal Saint-Martin sur 350m², il régale les gourmands de canard laqué pékinois, riz parfumé, aubergines marinées, porc braisé et de bien d’autres choses encore.

Deux temples de la cuisine chinoise pour ravir les palais des parisiens et une vie menée baguettes tapantes qui font la fierté de ses parents…

Crédit photos : Bao Family