Je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une décennie à la botte de la Pretty woman Julia Roberts, bercée par les ondes rythmiques de Bashung et cathodiques de Beverly Hills. Une décennie à la mode non décadente faite de jeans montants et t-shirts raccourcis. Je veux bien sûr parler des années 90s.

Son baccalauréat en poche, Charlotte intègre les bancs de l’ESSEC et monte sur les planches du Cours Florent. L’étudiante finira par clore cette dichotomie académique en abandonnant, sans dramaturgie, le théâtre, mais en gardant comme pour personnage central la mode.

Fraîchement diplômée, Charlotte entre sur la pointe des pieds dans le décor Art déco de la Samaritaine, puis dans un trimestriel de mode en tant que rédactrice en chef adjointe. Toujours à la page et observant la toile tentaculaire que se tisse doucement internet, la jeune femme saute le pas et entre dans une agence de communication digitale dédiée au luxe. Des expériences variées mais toujours avec la mode chevillée au corps et au cœur. 2006 offre une nouvelle dimension à sa carrière. Sarenza, qui n’est alors qu’une jeune start-up comptant une vingtaine de salariés, cherche sa nouvelle directrice marketing. Chaussée de ses souliers porte-bonheur lors du processus de recrutement, Charlotte obtient le poste. Elle pose ainsi durablement ses voûtes plantaires dans l’entreprise, travaille d’arrache-pied pour appréhender la gestion d’équipe et les dernières parts d’ombres du e-commerce.

C’est également chez cette pointure de la vente en ligne de chaussures que son envie de créer un projet plus personnel marche sur ses talons. Mais Charlotte botte en touche et se cramponne à son siège, malgré la création de plusieurs collections durant ses congés maternité.

L’étincelle finira par irradier une pause-café. Un de ses collègues lui avoue alors ses désirs d’entrepreneuriat et lui propose de s’associer. Les deux salariés font la paire, Charlotte se sent pousser les ailes nécessaires pour sauter à pieds joints dans cette aventure, à l’aube de ses 10 ans chez le chausseur. A compter de ce jour, le pas se fait de nouveau plus assuré dans les couloirs et son sourire se redessine derrière son ordinateur. Le duo dédie ses soirées et weekends à esquisser un projet qui combinerait le sens (pour lui) et la mode (pour elle). Ils ont l’idée d’une marque de vêtements responsable mais désirable, aux délicieux accents vintage. Des basiques à porter à l’envie toute l’année qui vieilliraient aussi bien qu’un bon single de Britney Spears. Patine s’impose comme une évidence au cours d’un déjeuner éclairé.

Le choix de la matière s’avère ainsi primordial. De la fibre au finissage, elle est sourcée pour être la plus responsable et locale possible. Pour chaque vêtement qu’il confectionnera – majoritairement au Portugal, le duo aura la volonté de calculer le volume d’eau utilisé, la pollution de l’eau générée et celle de l’air pour réduire au maximum l’empreinte sur l’environnement. Mais la matière se veut aussi moelleuse et réconfortante. Des jerseys épais en coton bio pour des t-shirts et sweats cocons, des laines lourdes et enveloppantes pour des journées d’hivers emmaillotées au coin du feu, et des denims bruts pour des jeans tout-terrain.

Puis vient la forme. Charlotte ressort ses carnets d’ado remplis de coupures presse, de silhouettes photographiées sur papier glacé. Les coutures prennent une tournure délicieusement vintage pour des habits dans l’air du temps. Une seule règle du jeu : faire des vêtements aux coupes loose, qui prendront plaisir à épouser nos coudes et genoux sans les étouffer, et se verront étirer par nos mouvement sans jamais grimacer. Vient le temps de ne pas faire dans la nuance. Rose malabar, rouge tomate, mauve lilas ou encore bleu glacier, Charlotte pioche les plus belles couleurs de la palette qui ne feront jamais grise mine.

Le duo finit ainsi par quitter Sarenza juste avant que ne s’ouvre 2017. Il finance, avec ses économies, le lancement de trois premiers modèles de t-shirts, le 21 juin 2017. Le choix du jour le plus long leur porte chance : 300 exemplaires sont vendus les seules premières vingt-quatre heures.

Le petit plus de Patine est également d’informer – sans culpabiliser – sa communauté sur la pollution que représente l’industrie de la mode actuelle, avec en tête la fast fashion.

Leur t-shirt économise l’équivalent de 16 baignoires d’eau par rapport à un t-shirt classique, leur sweat 40 et leur jean 60. Aucune injonction mais une invitation à se mettre dans le bain du « prêt-à-reporter » : « portez-les, usez-les, réparez-les… A chaque fois que vous remettez un vêtement plutôt qu’en acheter un nouveau, vous contribuez à sauver le monde ». La mode est après tout un éternellement recommencement….

Crédit photos Patine Paris.