Il est coutume de dire qu’un dessin vaut mieux un long discours. L’épaisseur ou la profondeur du trait remplacerait ainsi le ton, les couleurs choisies, vibrantes, tendres, claires ou sombres, attireraient à elles-seules tous les regards, renversant de fait les mots. Alors, quand il accompagne un écrit, la puissance du texte s’en trouve renforcée, décuplée par celle des images. Portrait de Charlotte Molas, illustratrice enjouée.

Les crayons aux doigts et son esprit tout occupé à imaginer des personnages, l’enfance de Charlotte annonce la couleur d’une vie plutôt artistique.  La jeune fille intègre les Arts appliqués d’Avignon mais a conscience que tous les faisceaux lumineux mènent à la ville Lumière, rayonnant plus que jamais en tant que ville d’art. Les crayons solidement embarqués sous le bras, l’étudiante tend alors un fil, prend la verticale et étudie pendant deux ans la communication visuelle à Paris. Mais la rigueur imposée pour apprendre dans les règles de l’art les règles de mise en page douche son enthousiasme. La spontanéité ne doit pas être estompée au profit d’une communication de masse, uniforme et non sensorielle. La liaison semble être rompue, et la ligne qu’elle pensait droite devient flottante. Charlotte planche alors sur sa réorientation. Elle jette l’ancre à l’école Corvisart, plonge mains jointes dans le dessin et en sort diplômée des métiers du livre et de l’illustration.

 

La réalité du marché la rattrape. Charlotte se met en quête d’un poste de graphiste et finit par intégrer une société de marketing spécialisée dans les coupons de réduction. Si cette première vraie expérience salariée a le mérite de lui offrir pour la première fois une stabilité réconfortante, il n’en demeure pas moins que le cadre est plutôt limité. La finesse d’un trait a laissé place à la paresse d’un slogan souvent peu étudié. Le matraquage ne se rapporte pas au grammage : quelques centimètres carrés d’un papier peu épais, des aplats de couleurs vives pour attirer l’œil et des mots tapageurs qui ne font pas dans la nuance pourtant si chère à ses yeux. Un rictus apparaît à mesure que les prospectus se font plus nombreux. Charlotte tient bon, convaincue qu’il y a du bon dans toute expérience. Mais, entre deux coupons, elle consent une remise de peine à ses doigts et ressort ses crayons pour son plus grand plaisir. 

A mesure que les esquisses se dessinent, ses phalanges prennent leur revanche. Son courage ne flanche pas quand, sa confiance renaissant, elle décide d’en poster quelques un sur la toile, et ainsi libérer le monde burlesque et plaisant qui sommeillait en elle depuis trop longtemps. Ses illustrations, colorées et résolument graphiques, dignes héritières du mouvement Art déco, rappellent l’âge d’or des affichistes. Quelques dessins pour un tout autre (futur) destin…

 

Un matin plus lumineux qu’un autre, un agent l’appel pour lui proposer une rencontre. Le rendez-vous qu’elle s’apprête à honorer, tant il a piqué sa curiosité, va changer sa vie professionnelle. Elle comprend qu’elle a de l’or entre ses paumes.

Charlotte se met alors à temps partiel, avant de finalement quitter l’entreprise définitivement, cinq ans après son arrivée. La presse est rapidement charmée par ses personnages fantasques, aux articulations parfois anguleuses, aux silhouettes toujours chaloupées. De nombreux titres (le Monde, Le Temps, L’Express, le Parisien et bien d’autres encore) vont alors rehausser et adoucir le monochrome de leurs articles grâce aux dessins pigmentés de Charlotte. Après les médias, c’est au monde de l’édition de lui ouvrir grand ses pages. Sans jamais tirer la couverture à elle, Charlotte met du cœur à l’ouvrage pour offrir aux livres qu’elle illustre de nouvelles perspectives. 

Sous ses doigts, les pages se poudrent de fards éclatants et reprennent ainsi des couleurs.

Charlotte s’illustre aussi auprès de jeunes créateurs, qui ont vent de son succès naissant.  Albertine, une jeune marque de maillots de bain, est la première à lui donner carte blanche. Palette au bras, Charlotte se jette à l’eau et propose une toile graphique couleur lagon pour sirènes arty. Puis c’est au tour du Slip français de l’approcher pour fusionner leurs univers le temps d’une capsule. Une collaboration sens dessus dessous de t-shirts, chaussettes et sous-vêtements pour un peau à peau endiablé avec ses personnages bigarrés. Le textile n’est pas le seul secteur à prêter corps à ses personnages. Quand le panache de Charlotte rencontre la ganache du Chocolat des Français, cela donne une collection choc’ pour s’enorgueillir d’une production 100% tricolore à base de fèves guyanaises.

La facétie de Charlotte repose dans son approche caméléon :  croquer l’ADN de chaque marque pour révéler une facette insoupçonnée à chaque fois. C’est aussi cela, la magie d’une collaboration, l’apport d’un artiste : donner à voir ce que l’on n’aurait jamais soupçonné. Charlotte poursuit son chemin autour du diptyque  édition / collaboration qu’elle ouvre d’un troisième volet dès qu’elle le peut, à savoir l’exposition, le tout sans jamais se prendre au sérieux, clé de sa créativité et ligne de conduite qu’elle a toujours adopté.  Une mine de projets sont pour l’heure sous le stylet de cette illustratrice qui s’avoue chanceuse. Mais la chance sourit plus que tout aux audacieux.

Crédit photos Charlotte Molas