KATIA SANCHEZ, LE MOHAIR DANS LA PEAU
Vouloir repartir de zéro alors que l’on est au sommet après la dure ascension que représente l’entrepreneuriat peut paraître incroyablement osé ou relever de la quasi-folie. Pourtant, c’est tout en haut que l’oxygène vient parfois à manquer. Loin d’être une chute, cette descente vertigineuse peut s’avérer une élévation salutaire. Portrait de Katia Sanchez, fondatrice Des Petits Hauts et de sa marque éponyme depuis 2019.
Encouragée par un père porté sur les études, Katia entre en classe préparatoire économique avant d’intégrer Sup de Co Toulouse. La ville rose lui redonne des couleurs après deux années difficiles à noircir ses cahiers de formules et concepts économiques. A l’heure des stages, la jeune femme entre chez André, en tant qu’assistante chef de produit. Une première expérience concluante puisqu’elle se voit proposer un CDI avec un passage londonien d’une demi-année.
Mais une erreur de ligne dans un fichier Excel lui fait perdre le fil d’une confiance en construction. Rouge de honte, Katia a toutes les peines du monde à relever la tête, malgré la bienveillance du reste de l’équipe. Une collègue modéliste l’emmène alors au défilé de l’école Esmod pour la tirer de sa grisaille ambiante. La parade fonctionne à merveille. Katia reprend des couleurs et saisit les nuances d’un paradoxe qui la tenaillait ces derniers temps : vouloir un quotidien plus créatif sans savoir comment s’y prendre.
Elle démissionne d’un revers de main et intègre cette école de mode pour une année intense de perfectionnement. Couture, matière et coupe n’ont bientôt plus de secret pour elle. Un nouveau diplôme dans sa manche, la jeune femme observe alors l’essor et l’engouement des Françaises pour les hauts et autres justaucorps. Elle a l’idée de se consacrer à ce seul produit.


Ses doigts s’emparent alors de crayons pour dessiner les premiers modèles et choisir les matières. Une première gamme de t-shirts voit le jour en 1999. C’est la naissance Des Petits Hauts. Sa sœur Vanessa, à la tête d’une boutique de mode multimarque, les propose à ses négociants, séduits.
Un premier écrin hybride, bureau et boutique rue Keller à Paris, vient célébrer le premier anniversaire de cette histoire. C’est également à ce moment que Des Petits Hauts se renforce d’une doublure solide et soyeuse, avec l’arrivée de sa sœur dans cette aventure désormais sororale. Pour le reste, le joli succès de la marque n’est plus à (ra)conter. Un premier actionnaire et une deuxième boutique en 2005, puis un nouvel investisseur et dix autres magasins en 2012. Cinq ans plus tard, Des Petits Hauts joue dans la cour des grands en devenant un haut lieu du tricot avec près d’une centaine d’écrins joyeux et romantiques. Le moelleux de ses mailles n’a d’égal que le camaïeu de couleurs proposé et le délicieux univers poétique fait de paillettes et pastel sans jamais tomber dans le mielleux.
Les années défilent et finissent par tricoter plus d’une décennie. Alors qu’elle est la Directrice artistique de la maison, Katia connait, malgré les ronronnements des machines à coudre, quelques petits bas. Nulle brebis égarée, juste une femme entrepreneure qui a donné beaucoup d’elle dans ce projet et ressent le besoin de souffler et retrouver ce goût si désiré de liberté. En un tour de manche, Katia confie ses missions dans de nouvelles et bonnes mains, et s’offre une longue pause méritée. Mais sa nature a le vide en horreur. Rencontres enrichissantes, lectures passionnantes et visites éclairantes d’usines ponctuent ces dix-huit mois finalement bien remplis.
Ses mains ont envie de chatouiller à nouveau la matière et ses yeux de se perdre dans une colorimétrie infinie. Loin de réfréner ce naturel qui revient au galop, Katia lui tend les bras. Plus que jamais, et confortée par une société qui a entretemps ouvert les yeux sur les ravages d’un certain pan de l’industrie de la mode, Katia souhaite proposer des produits respectant le vivant et la planète. La naturalité reste son fil d’Ariane : sublimer la nature sans la dénaturer. Elle jette à nouveau son dévolu sur le pull en mohair, son vêtement totem. Katia retrousse ses manches et déniche deux fils, un issu de chèvres du sud-ouest et le second d’Italie, provenant d’un élevage sud-africain. La sobriété est le second pilier de ce projet, pour lequel la créatrice fait le choix de lui prêter son nom.
Février 2019, alors que l’hiver s’installe durablement en France, les pulls commencent à naître de fil en aiguille. L’excellence a besoin de temps. Katia reçoit ses cocons de mohair colorés à l’aube de l’été. Malgré cette dichotomie apparente, les pulls se font une place sous le soleil. Il n’y a pas de saison pour la qualité. Dans le monde de Katia, la couleur est reine : le fuchsia s’acoquine avec le vert tandis que le jaune poussin en pince pour le rose saumon.
Cette première production est finalement suivie d’un système de précommandes, après un nœud de réflexions, d’hésitations et de convictions confrontées. La meilleure voie pour une fabrication raisonnée, dans le droit fil du respect de l’environnement souhaité par la fondatrice. Le délai de création n’est pas un frein pour les clientes qui ont conscience que l’attente n’est en aucun cas un acte marketing mais bien un acte citoyen. Prendre en filature Katia, c’est l’assurance d’être dans le peloton de tête de consommatrices exhortant la mode responsable à ne plus jamais faire tapisserie, mais au contraire, à porter haut et fort ses (radieuses) couleurs. Des pulls arc-en-ciel, signes d’un avenir sans nuage pour Katia Sanchez.



